mardi

UNE NUIT A LA CONQUETE DES EMBUCHES...


Paris - Nuit de l’accessibilité

A l’initiative de cet évènement « Jaccede » un mouvement citoyen qui milite pour l’accessibilité des lieux aux personnes à mobilité réduite.  
Pascale Lapalud, urbaniste-designer, membre de l’équipe 9A+ explore, a participé à cette aventure.

CB : Comment as-tu découvert jaccede ? 
PL : Par une annonce faite sur le net à travers un site d’écologie citoyenne

CB : Qu’est-ce qui t’a poussée à participer ?
PL : En tant qu’urbaniste, je suis sensible à l’accès pour tous les publics dans la ville, à la culture, aux distractions, aux restaurants, ça ne touche pas forcément que les gens qui sont en fauteuil roulant, mais tous les gens qui peuvent être gênés à un moment ou à un autre dans leur mobilité.

J’ai aimé le principe de réunir des volontaires dans un temps déterminé, une nuit, et de les mêler dans l’équipe à des personnes handicapées ou de se mettre soi-même en situation, en fauteuil, et de se confronter à la réalité.

Avant j’avais des idées sur la question mais une fois confrontée au réel, ça change tout !

CB : Quel était le but de la soirée ?
PL : Il y avait 3 objectifs affichés :
  • Permettre le partage de lieux à tous en identifiant ceux qui sont accessibles aux personnes handicapées
  • En visitant les lieux, sensibiliser sur le handicap et l’accès/non accès des lieux aux personnes handicapées
  • Grâce à la collecte, valoriser les lieux qui ont fait l’effort de se mettre aux normes (obligatoires pour 2015)

CB : Peux-tu m’expliquer comment s’est déroulée la soirée ?
PL:  Ca a commencé par une première partie à la Bellevilloise à Paris ou l’association Jaccede nous a expliqué le déroulement de l’opération et le principe de collecte d’information.

Dans un premier temps à travers le repérage des commerces et des lieux de soirées, bars, restaurants, boites de nuit, notre premier regard devait porter sur l’accès à l’entrée. Marche pas marche ? plan incliné ? pour identifier si d’emblée on est accueillis ou laissés sur le trottoir d’un point de vue « équipement ».  On devait par exemple mesurer l'emmarchement: mesure de la pente, se franchit facilement ou pas…




L’observation devait se porter ensuite sur d’autres types de handicaps
  • Déficients visuels.  Eléments à disposition pour permettre aux non/mal voyants de se repérer dans l’espace ?  On nous a informés sur la façon dont certains lieux publics sont équipés de lignes claires ou de guides.
  • Repère des pictogrammes sur l’accès aux personnes handicapées.  Par exemple ceux qui existent pour dire que les locaux sont équipés de systèmes relais pour les déficients auditifs (boites de nuits)
On devait aussi :
  • S’attacher à la notion d’accueil de la part des gens qui travaillent dans ces lieux :  est-on bien accueilli ou pas, est-ce qu’on nous ouvre les portes ou pas….
  • Regarder un certain nombre de choses sur place : mobilier fixe ou pas ? est-ce qu’on peut déplacer les chaises pour mettre un fauteuil ? espace aménageable ou pas ?

Et les toilettes !  C’est très important sur le terrain. Est-ce que les toilettes sont accessibles ? équipées pour les fauteuils ?

Répartis en équipe de 4 ou 5, avec des fiches de lieux et des cartes représentant un espace à couvrir, on avait 3 heures pour faire nos enquêtes.





CB : Quels sont les points qui t’ont le plus marquée ?
PL : C’est l’expérience du fauteuil roulant. 
La première question qu’on s’est posée était la suivante : est-ce que certains parmi nous ont déjà vécu cette expérience ?  Pour certains c’était le cas et c’était un souvenir plutôt traumatisant, montrant que cette question du fauteuil n’est vraiment pas simple.

CB : Comment est-ce que tu as vécu l’expérience du fauteuil roulant ?
PL : Les déplacements sont extrêmement difficiles dans la ville. Très physiques. On s’aperçoit que l’espace public n’est pas suffisamment adapté -  beaucoup de trottoirs en dévers, de passages piétons non sécurisés, beaucoup d’obstacles, peu de place pour se mouvoir -

De plus, on a une vision assise, qui n’est pas du tout la vision moyenne. On se tord le cou, on n’a pas accès aux informations, les informations sont trop hautes, dans les vitrines, les panneaux des boutiques ne sont pas visibles… On sent qu’on est dans une zone de non-lieu, la pub, l’info se passe au-dessus, j’avais mal au cou au bout d’un moment à regarder en l’air…

CB : Et tu parlais du rapport à l’autre…
PL : Oui évidemment, il y a des regards, pas forcément compatissants, ou le contraire.  Le regard est porté sur toi à cause du fauteuil… c’est la première chose qui marque et qu’on ne peut éviter.
Et puis il y a la difficulté à échanger avec les autres.  Quand on est en groupe on ne peut pas parler aux autres, dans la pente l’un pousse ou retient le fauteuil, dans la foule c’est pire, on se sent tout seul dans son fauteuil….

CB : L’expérience du bus ?
PL : Le bus, un équipement finalement assez sophistiqué, est à disposition.  Et en même temps on est d’une grande fragilité dans cette espace.  Si on ne s’est pas mis dans le bon sens, ou si on a oublié le frein (ce qui m’est arrivé) on est immédiatement en péril.  Et en plus on n’ose pas demander… et puis même si le bus est adapté, ça demande un gros effort pour y monter seul.

CB : Quelles difficultés à se mettre aux normes as-tu relevées pour les commerces que vous avez visités?
PL : Il y a un énorme travail d’adaptation à réaliser dans pratiquement tous les lieux que nous avons visités (un quartier du 19è arr).  Les restaurants, par exemple.  Même si on a été partout plutôt bien accueillis et que les gens étaient sympa, il y a énormément à faire.  La mise aux normes va donner lieu à des travaux très importants qui tiennent à la configuration même de l'architecture parisienne, WC en sous-sol, manque de place etc… C’est un budget énorme et dans certains cas il y a même impossibilité de mise aux normes, non seulement sur un plan financier mais par manque d’espace tout simplement.



CB : Quels enseignements, idées, retires-tu de cette expérience en tant qu’urbaniste-designer ?
PL : Ma première réaction a été de dire il faut réfléchir différemment.  Plutôt que de fermer des lieux non adaptables, c’est peut-être dans la rue qu'il faut mettre en place des solutions de recours, avec des toilettes publiques accessibles et propres à proximité des restaurants par exemple.

Il s’agit d’essayer de retourner la question et de déplacer le problème…

Il faut aussi prendre en compte l’ensemble des handicaps dans la réflexion des aménagements, chose qui n’est pas souvent faite, il n’y a pas que le fauteuil roulant.

CB : Au retour des équipes, à la Bellevilloise, j’ai parlé avec une femme qui se déplace en scooter médical.  Son rêve est qu’on monte une énorme fête ou tout le monde puisse danser y compris ceux qui sont en scooter ou en fauteuils… Est-ce que tu as senti toi aussi cette énorme envie du « vivre ensemble »  parmi les participants ?
PL : Le fait qu’il y ait eu cette soirée et que les équipes aient été très mélangées, il y a eu de réels échanges entre les individus.  


C’est dans ces moments-là qu’on prend conscience que les normes ne suffiront pas pour faire bouger les choses.  C’est aussi et surtout par l’échange entre les gens qu’on avancera sur le handicap dans l’espace public.

Si on mettait des handicapés à travailler dans chaque programme d’archi, on apporterait des solutions qui relèveraient moins de la norme que de l’agilité, et qui s’adapteraient sans doute mieux aux différentes contraintes du quotidien.

Quand on parle de handicap on se focalise sur la mobilité du fauteuil roulant.  Or il faut prendre en compte tous les handicaps, la question est bien plus large.

Petits enfants, parents avec les poussettes, personnes âgées aux rythmes différents, qui ont une appréhension de l’espace public beaucoup plus lente, qui n’ont pas la même agilité physique... beaucoup de situations imposent une réflexion sur la mobilité.

Une personne peut apparaitre tout à fait valide et pourtant à certains stades de sa vie ou de sa maladie, elle aura besoin d’accès à des équipements de confort.  Aujourd’hui c’est une chose qu’on ne visualise absolument pas dans l’espace public.  C’est le quotidien que nous a raconté cette femme atteinte de sclérose en plaque qui a répertorié le nombre de bancs entre chez elle et le supermarché avant d’oser sortir….

C’est là que l’urbaniste a un vrai rôle pour faciliter le vivre ensemble.

(Entretien réalisé le 18 Juillet 2011)




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